Compte-rendu des Festins poétiques 9

Invité d’honneur : David Belmondo
Animatrice : Andréine Bel
Nombre de participants : 18

Cette 9e édition des Festins poétiques a invité David Belmondo, poète et homme de théâtre, amoureux et passeur de mots.

1 – LA RENCONTRE

Conventions de transcription :

– Les * indiquent le nombre de fois qu’un poème a été lu à voix haute.
– Sont transcrits les poèmes qui ont au moins 1 *.
– Les poèmes élus ont au moins deux **.
– La partie lue par les participants apparaît en gras lorsqu’elle est extraite d’un poème plus long.

Nous avons élu 8 poèmes parmi les 15 lus à voix haute et les 24 contemplés.

*****
Étrange, quand le monde change
Et l’hiver c’est le temps,
Quand nous marchons dans l’obscurité
Et la solitude nous sépare de tout.

Personne n’est sage qui ne connaît la patience.
Tout a besoin de silence, a besoin de temps,
Besoin de confiance dans le calme du monde
Et la croissance de tout moment obscur.

Source :

Seltsam, wenn die Welt sich verwandelt
Und Winter sich über die Zeit stellt,
Wenn wir im Dunkel wandern
Und Einsamkeit uns von allem trennt.

Keiner ist weise, der nicht die Geduld kennt.
Alles braucht Stille, braucht Zeit,
Braucht Vertrauen in das Leise der Welt,
In das Wachstum jeder dunklen Zeit.

Monika Minder (trad. Bernard Bel)
Poème inspiré de „Im Nebel“ (Hermann Hesse)

****
Pour seul étendard
je veux ta main,
l’univers dans ton regard.

Catherine Mourmaux

***
Au midi vide qui dort
combien de fois elle passe,
sans laisser à la terrasse
le moindre soupçon d’un corps.

Mais si la nature la sent,
l’habitude de l’invisible
rend une clarté terrible
à son doux contour apparent.

Rainer Maria Rilke, La déesse

***
Chose curieuse
je vois un gotoku de pierre –
la rosée d’une glycine tombe goutte à goutte

Kikaku, haïjin disciple de Bashô

**

En toutes ces choses non écloses il ose
Ouvrir la dimension le volume de vie
Nous vivons du monde la surface la prose
Intensément pourtant règne la poésie

Richard Borneman

**
Les bateaux en bouteille
sentent encore la mer,
le vent et le soleil
dans leur étrave de bouchon

Gérard le Gouic

**
Parce que l’amour est tout ce qu’on espère
Où que l’on en soit de son long chemin de vie,
Unis à nous-même, mais cherchant « celle ou celui »
Rivage d’un oubli de soi, dans lequel on se perd.

À chaque pas posé, ce rêve semble plus proche.
Ni trop loin ni trop près, juste à notre portée.
Tombé à nos pieds parfois, mais il se décroche,
Habile à nous tromper dans la hâte d’aimer.

Oserait-on le suivre dans ses plus grands méandres,
Nouant le drame d’un Pelléas et Mélisande ?
Y aurait-il une issue autre que fatale
Ni bien, ni mal, juste simple, sans trop de dédales ?

Ici la chance nous sourira peut-être enfin.
Cachée sous nos claviers, elle calmera la faim
Où nous entraîne ce manque… vers un amour serein.

Linda Corbelli (acrostiche)

**

Une feuille rêvant au vallon de la main,
les lignes enlacées se jouant du chagrin.
Deux mains, un destin.
Deux feuilles, un jardin.

Françoise Sayour

* + * + *
Qu’est-ce qui frappe ?

Le soleil dans les eaux
le bois dans les oiseaux
Le chien dans le fusil
Le rouge dans la gorge
La langue au bout du chat.

Qu’est-ce qui frappe ?

La lune ombre le loup
La porte claque le vent
L’œil de beuf rend la vache
La crème tarte la victime
La sciure rance tout risque

Qu’est-ce qui frappe ?

L’impôt oh opposition
La cruche vide sa bedaine
L
e trou ronge le plein
L
e vide remplit les mains
La
haine coule dans les reins

Qu’est-ce qui frappe ?

Bernard Pedrotti

*
CLYTEMNESTRE

Vous ne démentez point une race funeste.
Oui, vous êtes le sang d’Atrée et de Thyeste

Bourreau de votre fille, il ne vous reste enfin
Que d’en faire à sa mère un horrible festin.

Barbare ! c’est donc là cet heureux sacrifice
Que vos soins préparaient avec tant d’artifice.
Quoi l’horreur de souscrire à cet ordre inhumain
N’a pas en le traçant arrêté votre main ?

Pourquoi feindre à nos yeux une fausse tristesse ?
Pensez-vous par des pleurs prouver votre tendresse ?
Où sont-ils ces combats que vous avez rendus ?
Quels flots de sang pour elle avez-vous répandus ?

Quel débris parle ici de votre résistance ?
Quel champ couvert de morts me condamne au silence ?
Voilà par quels témoins il fallait me prouver,
Cruel, que votre amour a voulu la sauver.

Oracle fatal ordonne qu’elle expire.
Un Oracle dit-il tout ce qu’il semble dire ?
Le Ciel, le juste ciel par le meurtre honoré
Du sang de l’innocence est-il donc altéré ?

Si du crime d’Hélène on punit sa famille,
Faites chercher à Sparte Hermione sa fille.
Laissez à Ménélas racheter d’un tel prix
Sa coupable moitié, dont il est trop épris.

Mais vous, quelles fureurs vous rendent sa victime ?
Pourquoi vous imposer la peine de son crime ?
Pourquoi moi-même enfin me déchirant le flanc,
Payer sa folle amour du plus pur de mon sang ?

Que dis-je ? Cet objet de tant de jalousie,
Cette Hélène, qui trouble et l’Europe, et l’Asie,
Vous semble-t-elle un prix digne de vos exploits ?
Combien nos fronts pour elle ont-ils rougi de fois ?

Avant qu’un nœud fatal l’unît à votre frère,
Thésée avait osé l’enlever à son père.
Vous savez, et Calchas mille fois vous l’a dit,
Qu’un hymen clandestin mit ce prince en son lit,
Que sa mère a cachée au reste de la Grèce.

Mais non, l’amour d’un frère, et son honneur blessé
Sont les moindres des soins, dont vous êtes pressé.
Cette soif de régner, que rien ne peut éteindre,
L’orgueil de voir vingt rois vous servir et vous craindre,
Tous les droits de l’empire en vos mains confiés,
Cruel, c’est à ces Dieux que vous sacrifiez.

Et loin de repousser le coup qu’on vous prépare,
Vous voulez vous en faire un mérite barbare.
Trop jaloux d’un pouvoir qu’on peut vous envier,
De votre propre sang vous courez le payer,
Et voulez par ce prix épouvanter l’audace
De quiconque vous peut disputer votre place.
Est-ce donc être père ? Ah ! toute ma raison
Cède à la cruauté de cette trahison.

Un prêtre environné d’une foule cruelle,
Portera sur ma fille une main criminelle ?
Déchirera son sein ? Et d’un œil curieux
Dans son cœur palpitant consultera les Dieux ?

Et moi, qui l’amenai triomphante, adorée,
Je m’en retournerai, seule, et désespérée !
Je verrai les chemins encor tout parfumés
Des fleurs, dont sous ses pas on les avait semés !

Non, je ne l’aurai point amenée au supplice,
Ou vous ferez aux Grecs un double sacrifice.
Ni crainte, ni respect ne m’en peut détacher.
De mes bras tout sanglants il faudra l’arracher.

Aussi barbare époux qu’impitoyable père,
Venez, si vous l’osez, la ravir à sa mère.
Et vous, rentrez, ma fille, et du moins à mes lois
Obéissez encor pour la dernière fois.

Racine, Iphigénie

*
Le temps m’a pris d’écrire
Agrippé aux chevilles
Dans la spirale vertigineuse du présent.

Bernard Bel

*
[…]

Mon ombre enfin sort des limites
Mon ombre enfin sort de son gîte
Et va où son désir l’invite.

Mon ombre se confond avec la nuit
Avec le charbon et la suie
Et fume parce que je vis.

Mon ombre envahit la moitié du monde
Et flotte avec les vents et les ondes
Avec les fleuves et la mer gronde.

[…]

Robert Desnos, Domaine public

*
Dimanche lourd couvercle sur le bouillonnement du sang.

Christian Tzara (1925-1942, période Dada)

*
Le soleil, sur le sable, ô lutteuse endormie,
En l’or de tes cheveux chauffe un bain langoureux
Et, consumant l’encens sur ta joue ennemie,
Il mêle avec les pleurs un breuvage amoureux.

De ce blanc flamboiement l’immuable accalmie
T’a fait dire, attristée, ô mes baisers peureux
« Nous ne serons jamais une seule momie
Sous l’antique désert et les palmiers heureux ! »

Mais la chevelure est une rivière tiède,
Où noyer sans frissons l’âme qui nous obsède
Et trouver ce Néant que tu ne connais pas.

Je goûterai le fard pleuré par tes paupières,
Pour voir s’il sait donner au cœur que tu frappas
L’insensibilité de l’azur et des pierres.

Mallarmé, Tristesse d’été

*
(Source) In atemloser Spannung und der sicheren Absicht
Den besten Moment der Szene zu erwischen
Mit der Ruhe sich der Weihe zu ergießen.
Im Rausch eine Biene den Pollen abschöpft.
Eine Wolke von Blütenstaub, gezuckert und violett
Umgibt die meisterliche Schauspielerin meines Traumes.
Mein kreatives Auge bewegt sich in anderen Planeten
Und bestätigt mir das vergangene Paradies von Eva.

Avec le souffle coupé et la ferme intention
de saisir la meilleure séquence de la scène
La patience aboutit à la consécration.
Dans l’ivresse d’une abeille écrémant le pollen
un nuage de pollen sucré et violet
entoure la magistrale actrice de mon rêve.
Mon œil créatif se déplace sur d’autres planètes
Et
me confirme le paradis perdu d’Eve.

Ines Thodes-Sonntag (auteur et traductrice)

2 – LE PARTAGE

David Belmondo nous a emmenés vers la poésie du quotidien, celle où se niche la métaphysique de l’existence, ses révoltes et questionnements. Il nous a lu des poèmes de Richard Borneman et Simon Ferandou, puis les siens. Le verbe était haut, les sonorités rythmées en swing ou punching ball, rap et jazz jamais loin, derrière la ligne d’horizon.

Le son intégral de son intervention :

3 – LA DEGUSTATION

 

Des vins de toutes les couleurs, salades et tapenades exquises, tarte de pommes et cake…

QUELQUES POINTS

– Lors de notre tour de présentation, nous avons réalisé qu’il y avait autour de la table : une éducatrice/conteuse/organisatrice/lectrice, une conceptrice de fête culturelle grande lectrice, une photographe-sculptrice/peintre/écrivaine, une plasticienne/musicienne qui réintroduit l’écriture dans son travail, un musicologue expérimental qui passe son temps à traduire une langue qu’il ne sait pas parler, une conteuse marionnettiste qui écrit pour parler, un prof de français qui défend la poésie contre vents et marées, sciences et religions, un lecteur passionné de poésie en quête d’ouverture et qui fabrique du vin ce qui ne gache rien, un conteur/performeur de spectacle vivant qui met le couvert dans les centres de vacances pour gagner sa vie, un habitant d’enclave africaine varoise amoureux de la poésie du quotidien qui redonne vie aux mots/théâtreux depuis presque toujours en pleine folie maritime culturelle, une organisatrice événementielle/blogueuse littéraire/amatrice de poésie, une gérante de cinéma privé amoureuse de littérature, poésie, chant et musique, une danseuse qui dansait pour ne pas avoir à parler mais s’y est mis enfin, une voyageuse écrivaine/écrivaine voyageuse de carnets intimes, puis sont arrivés deux théâtreux artisans de spectacles qui allient verbe et musique, textes et rythmes, et enfin deux amies qui se sont faites petites souris mais sont grandes lectrices et écrivaines en herbe.

– Un poème court, cela demande du souffle quand il est long…

– Il est d’usage pendant les festins poétiques de ne mettre sur la table que des poèmes courts, dits en un souffle ou deux. Lorsqu’ un poème long a été apporté, le premier lecteur qui le lit a pour consigne de cocher le passage qui lui semble être un poème à lui seul. Les autres lecteurs le découvrent et éventuellement ne recopient que cet extrait. Mais pour le poème de Bernard Pedrotti, chacune des trois strophes a séduit un lecteur et a été recopiée et lue à voix haute une fois. Le poème a donc remporté 1/3* + 1/3* + 1/3* = 1 * , puisque le poème n’a été lu qu’une fois en entier.

– La première partie des festins a adopté la forme générale du kukaï japonais (kukaï veut dire « rencontre poétique »). Lors de ce festin 9, c’est la première fois que les trois phases caractéristiques d’un kukaï s’équilibrent :
la contemplation des poèmes avec la lecture à voix basse
la lecture à voix haute des poèmes sélectionnés
et l’appréciation à plusieurs des poèmes élus (dire ce qui nous a plu, touché ou ce que l’on a compris au niveau de la forme comme du fond du poème choisi).

– Le festin 10 se déroulera le 19/5/18 autour du tanka japonais, grâce à Patrick Simon, spécialiste de poésie japonaise.
Le lendemain, nous (Martine Gonfalone Modigliani, Patrick Simon et moi-même) conduirons un kukai à la fête du livre de Gonfaron, le 20/5/18 de 10h30 à 12h, à la Maison du territoire. Nous vous y attendons nombreux !

Andréine Bel

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