Compte-rendu des Festins poétiques 8

Invitée d’honneur : Béatrice Machet
Animatrice : Andréine Bel
Nombre de participants : 11

Cette 8e édition des Festins poétiques a invité Béatrice Machet à l’occasion du Printemps des poètes sur le thème de l’ardeur. Elle a proposé le matin un atelier d’écriture basé sur les sensations corporelles pendant un exercice musculaire, et le soir une mise en voix, temps et espace des textes écrits le matin.

ATELIER DU MATIN

Il s’agissait en premier de s’allonger dos au sol, puis de contracter un par un nos muscles du côté droit, en allant des orteils jusqu’aux doigts. Puis, à la verticale, de sentir la différence entre le côté qui venait d’être activé et celui resté au repos. Même chose à gauche. Enfin, observer nos sensations dans le corps en entier.

Pour écrire, nous avions ces sensations du moment et les émotions suscitées, souvenirs, en vrac ou en suivant un fil, une histoire…

Enfin, chacun a lu à voix haute le corps de son texte (voir dans Partage 1).

1 – LA RENCONTRE

Conventions de transcription :

– Les * indiquent le nombre de fois qu’un poème a été lu à voix haute.
– Sont transcrits les poèmes qui ont au moins 1 *.
– Les poèmes élus ont au moins deux **.
– La partie lue par les participants apparaît en gras lorsqu’elle est extraite d’un poème plus long.

Nous avons élu 6 poèmes parmi les 10 lus à voix haute et les 22 contemplés.

***
Si je mourais là-bas sur le front de l’armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
Et puis mon souvenir s’éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l’armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur

Et puis ce souvenir éclaté dans l’espace
Couvrirait de mon sang le monde tout entier
La mer les monts les vals et l’étoile qui passe
Les soleils merveilleux mûrissant dans l’espace
Comme font les fruits d’or autour de Baratier

Souvenir oublié vivant dans toutes choses
Je rougirais le bout de tes jolis seins roses
Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants
Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses
Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants

Le fatal giclement de mon sang sur le monde
Donnerait au soleil plus de vive clarté
Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l’onde
Un amour inouï descendrait sur le monde
L’amant serait plus fort dans ton corps écarté

 Lou si je meurs là-bas souvenir qu’on oublie
— Souviens-t’en quelquefois aux instants de folie
De jeunesse et d’amour et d’éclatante ardeur —
Mon sang c’est la fontaine ardente du bonheur
Et sois la plus heureuse étant la plus jolie

 Ô mon unique amour et ma grande folie

Guillaume Appolinaire, Si je mourais

***
Sur le feu comme sur l’herbe
Est allongée l’enfance
     Y tourner ses yeux
     Y porter ses mains
Là sous la tempe
Des constellations font battre le sang.

Béatrice Machet

***
Car tu peux mourir affamé de l’or de tes rêves

Vojka Smiljannich Dikich (Slovaquie)

**
Ardeur, ardoise, file la laine
Tracas projeté et secoué à terre
En morceaux éclats retenus prisme
Se jouant des reflets forêts, fête, foire, flot
En un point des deux poings élancés
Se rejoignent laissant l’abondance dans un corps étonné

Claude Bœsch

**
Nathanaël, je t’enseignerai la ferveur.
Nos actes s’attachent à nous comme sa lueur au phosphore. Ils nous
consument, il est vrai, mais ils nous font notre splendeur.
Et si notre âme a valu quelque chose, c’est qu’elle a brûlé plus
ardemment que quelques autres.

Je vous ai vus, grands champs baignés de la blancheur de l’aube ; lacs
bleus, je me suis baigné dans vos flots – et que chaque caresse de l’air riant
m’ait fait sourire, voilà ce que je ne me lasserai pas de te redire, Nathanaël.
Je t’enseignerai la ferveur. 

 Si j’avais su des choses plus belles, c’est celles-là que je t’aurais dites
– celles-là, certes, et non pas d’autres. 

Tu ne m’as pas enseigné la sagesse, Ménalque.
Pas la sagesse, mais l’amour. 

André Gide, Les Nourritures terrestres, 1897

**
Il chemine au fond des mers
au fond du cœur au sommet des crêtes
l’homme incandescent

Andréine Bel

*
Suivre l’enclos par main qui traîne
Pied droit trottoir et l’autre caniveau
C’est poncer pourquoi non
La paume au hasard raboteux
Défaire les couches du voyage

Caroline Sajot Duvauraux

*
Réponds, réponds
Pourquoi la nuit
A-t-elle une voix d’homme ?

Catherine Mourmaux

*
Je me languis de desserrer les poings

Tansen Bel

*
O toison, moutonnant jusque sur l’encolure !
O boucles ! O parfum chargé de nonchaloir !
Extase ! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure
Des souvenirs dormant dans cette chevelure,
Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir !

La langoureuse Asie et la brûlante Afrique,
Tout un monde lointain, absent, presque défunt,
Vit dans les profondeurs, forêt aromatique!
Comme d’autres esprits voguent sur la musique,
Le mien, ô mon amour! nage sur ton parfum.

J’irai là-bas où l’arbre et l’homme, pleins de sève,
Se pâment longuement sous l’ardeur des climats;
Fortes tresses, soyez la houle qui m’enlève!
Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve
De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts :
Un port retentissant où mon âme peut boire
A grands flots le parfum, le son et la couleur ;
Où les vaisseaux, glissant dans l’or et dans la moire,
Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire
D’un ciel pur où frémit l’éternelle chaleur.

Je plongerai ma tête amoureuse d’ivresse
Dans ce noir océan où l’autre est enfermé ;
Et mon esprit subtil que le roulis caresse
Saura vous retrouver, ô féconde paresse !
Infinis bercements du loisir embaumé !

Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues,
Vous me rendez l’azur du ciel immense et rond ;
Sur les bords duvetés de vos mèches tordues
Je m’enivre ardemment des senteurs confondues
De l’huile de coco, du musc et du goudron.

Longtemps! toujours! ma main dans ta crinière lourde
Sèmera le rubis, la perle et le saphir,
Afin qu’à mon désir tu ne sois jamais sourde !
N’es-tu pas l’oasis où je rêve, et la gourde
Où je hume à longs traits le vin du souvenir ?

Baudelaire, la chevelure

2 – LE PARTAGE I

Il s’est organisé autour des textes que nous avions écrits le matin pendant l’atelier proposé par Béatrice Machet.

Nous avons mis nos textes en voix et en corps, au hasard des phrases et des mots qui se correspondaient et s’influençaient. La partition sonore et gestuelle, timide au début, s’est enhardie, a foisonné d’assonnances et dissonances, de jaillissements et d’effondremants avec de beaux mouvements d’ensemble qui ont donné quelque frissons à la poésie bien lisse d’antan, histoire de la dérider au présent.

Texte de Françoise Sayour :
Pourquoi être là, au-dessus ?
Me serait douce pourtant la rugosité
du sol sous mes pieds.

J’ai le bat qui cœur
J’ai le bat qui cœur
J’ai le bat qui cœur (ad libitum)

Picotements imperceptibles des chutes passées :
Neige, violence, douceur de mille d’étoiles, espoir.
Ne suis-je déjà à terre, enlisée ?
Le sable sous mes doigts file comme ma vie.

Main gauche.
Pourquoi gauche ?
Malhabile, mal à droite,
Contractée, décontractée
Apprendre, désapprendre
Illisible, impossible
Tenter, essayer, re-co-mmen-cer.

Où es-tu mon souffle ?
Je te retiens, brise légère, je garde ta place.
Peur du vide naturelle…
Mais tu reviens toujours !
Je res-pi-re… un peu…
Serrer les poings, te retrouver enfin !

Je ne me relirai pas.
Je ne me reli-e-rai pas.

Fils tendus du tableau de mon corps :
Muscles tirés, tissés, tressés,
malmenés.
Lissés, défaits, désâmés ?
Mon corps tremblant n’en fait
qu’à ma tête.
Serrer les poings, te retrouver enfin.
4 secondes.

Petit pilote, tu savais déjà où guider ma main…
Ne la lâche pas, l’enfance tombera.
Instabilité certaine, yeux mi-clos,
lumière diaphane…
Rouge… écarlate.
Kaléidoscope,…
… Endoscope de mes émotions.
Le sang afflue sous les haubans
des paupières.
Beauté de l’accident.

Texte de Catherine Mourmaux :
 

Texte de Claude Bœsch :
Ardeur, ardoise, file la laine
Tracas projeté et secoué à terre
En morceaux éclats retenus prisme
Se jouant des reflets forêts, fête, foire, flot
En un point des deux poings élancés
Se rejoignent laissant l’abondance dans un corps étonné

Texte de Tansen Bel :
La vague de contractions fait vibrer mes os oubliés. Des muscles rebelles se prennent pour des miroirs, incontrôlables. Ils imitent le club très sélect des muscles actifs. Ils s’organisent en douce, la lutte des classes fait rage dans mon corps. De leur côté, les travailleurs bandés et snobs s’épuisent à la tendinite et s’enfoncent dans le puzzle de la mousse granuleuse vert plastique du sol.

Mon cerveau, insensible à la révolution qui démarre plus bas, se glisse dans le noir paupières, la respiration calme fait comme si de rien n’était. J’en oublie le travail de mes poumons, la machine insatiable qui avale l’air, puis le laisse s’échapper après l’avoir plongé dans mes cellules mouvantes, infatigables.

Je me languis de desserrer les poings.

     Texte de Bernard Bel :
Impossible réalité de l’effort
Frustration de la raideur ARDEUR
Souffle coupé apprivoisé emprisonné
Et puis soulagement

(Ce qu’on voit en premier : les limites)

 Mes cours de natation
Plier, pousser, serrer
La bicyclette en quête d’équilibre
MÉCANIQUE

(Difficile de concilier le vivant et la logique)

Je renie l’animal
Pour retourner végétal
Sous l’écorce sensible

(Deux mondes en opposition : celui des êtres en mouvement et des êtres en contemplation)

           Texte d’Andréine Bel :
Couleurs enlevées une à une
le soleil tombe doucement
l’expir du solei sur la peau
le sombre comme une pommade
le noir nourricier
secret du ventre
la nuit rouge du corps et quelques éclats de nâcre
l’espace s’engouffre plus haut
est-ce un trou noir ?
un monde englouti ?
une chaussette retournée ?

3 – LE PARTAGE II

 

Béatrice Machet nous a proposé de pénétrer dans son atelier en nous présentant plusieurs facettes de son travail résolument contemporain.

D’abord l’aspect sonore : lecture de deux textes écrits pour être présentés avec un enregistrement de sons. Le premier : «Inondationville » illustre ses préoccupations écologistes tout en montrant l’imprégnation des cultures amérindiennes dans le paysage mental de l’auteure. Le deuxième : « Danselombre » est une pièce écrite pour une danseuse (Lydie Vadrot), d’après le mythe d’Orphée.

Puis Béatrice a lu un poème inspiré de l’histoire encore trop méconnue de 38 guerriers Dakota qui ont été exécutés à Mankato dans le Minnesota, malgré un traité de paix signé sept ans auparavant. Ceci sur l’ordre du président Abraham Lincoln, qui la même semaine avait donné sa liberté aux esclaves noirs. Texte illustrant l’implication et l’engagement de Béatrice vis-à-vis des populations Indiennes des USA (elle a traduit plus de 30 poètes contemporains Indiens d’Amérique).

Ensuite l’aspect visuel : Béatrice nous a montré et lu son livre d’artiste intitulé « le livre M », livre de 34x 50cm, de 26 pages comme autant de lettres de l’alphabet. Il est fait de bois et de liège, avec des fines pages de papier de bois, manuscrit et « enluminé » par ses soins en suivant la symbolique du langage des signes des Indiens d’Amérique du sud-ouest. De telle sorte que l’ouvrage renferme le poème en français et la signification « indienne ».

Enfin, une vidéo a été projetée, réalisée lors d’une résidence d’artiste dans le Jura, illustrant un travail poétique sur le thème du plissement.

4 – LA DEGUSTATION

Des plats délicieux, des couleurs à ravir…

QUELQUES POINTS

– Ce festin marque une ouverture vers la poésie contemporaine : comment l’approcher, comment s’y rendre sensible ?

L’occasion de l’atelier corporel nous a permis de relier nos sensations aux mots, ceux qui disent nos sensations/émotions/souvenirs/images, qui à leur tour font poème. Entrer dans la poésie par le corps…

– Samedi 21 avril 2018, le Festin 9 reprendra son format habituel en trois temps. Nous aurons pour invité d’honneur David Belmondo, directeur de la médiathèque du Cannet des Maures.

 

Une réflexion sur “Compte-rendu des Festins poétiques 8

  1. M‌erci pour ce C.Rendu, c’est tj très intéressant et inspirant. Belle continuation. J-Louis Chartrain ​animateur des Ateliers Les Souffleurs de Vers-Chartres

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